Gâche pas ta nuit
Deux
Gâche pas ta nuit
Pleure pas Marie,
les larmes, maintenant, c'est inutile.
Si ta vie est monotone,
c'est que pour toi y a plus personne
dans cette ville.
Quand t'as voulu partir,
je t'ai dit les chemins solitaires c'est dangereux.
T'as souri en sortant ton roi de cœur de ton jeu.
Moi j'ai marché,
toute la nuit comme sur un fil,
à cloche-pied, les yeux bandés,
tu sais c'est pas tous les jours facile.
Sur le bord des trottoirs, les feux rouges
semblaient briller pour celle que j'aime;
les feux jaunes me disaient : "c'est même plus la peine".
Gâche pas ta nuit,
c'est seulement ta mémoire qui saigne un peu dans le noir.
Il se fait tard.
Gâche pas ta nuit,
maintenant c'est plus la peine d'ouvrir ta porte ce soir.
Quand je t'ai revue
après un peu plus d'un an,
t'étais seule face à ton mur
dans un sinistre appartement.
D'un air distrait tu m'as dit : "prends donc à boire"
en me montrant le frigidaire.
Ni ton maquillage, ni les peintures n'étaient d'hier.
On a plus jamais reparlé du passé.
Un soir, on s'est même juré
de ne jamais plus se dire jamais.
On brillait comme deux diamants,
toi et moi sous les réverbères,
et le monde entier traînait bien loin derrière.
Gâche pas ta nuit,
c'est seulement ta mémoire qui saigne un peu dans le noir.
Il se fait tard.
Gâche pas ta nuit,
maintenant c'est plus la peine d'ouvrir ta porte ce soir.
Et toi, cette fois-là,
tu m'as quitté sans rien dire.
J'ai passé au moins trois nuits,
sans dormir, à te maudire.
T'avais laissé la porte ouverte en quittant ton royaume,
et le ciel au dessus des toits s'est pendu aux pylônes.
Un soir, je t'ai croisée,
près des machines à choc électrique,
pour ne pas devenir fou,
moi je marchais comme un jouet mécanique.
T'avais les joues peintes en rouge
et les néons semblaient pleurer des plumes.
Le ciel était plein de poignards qui crevaient la lune.
Gâche pas ta nuit,
c'est seulement ta mémoire qui saigne un peu dans le noir.
Il se fait tard.
Gâche pas ta nuit,
maintenant c'est plus la peine d'ouvrir ta porte ce soir.